Le miracle de l’amour et sa jouissance

Un proverbe du Talmud dit que Dieu n’a pas crée la femme sortant de la tête de l’homme, ainsi, il ne la commande pas. Il ne l’a pas crée non plus à partir de son pied, ainsi, elle n’est pas son esclave. Il l’a créée en lui prenant une côte pour qu’elle soit proche de son cœur.

Mark Twain, dans le Journal d’Adam et le Journal d’Eve, fait une satire de ce premier rapport entre un homme et une femme, et dit qu’Eve se demande pourquoi elle aime cet homme, et conclut qu’elle l’aime “parce que c’est son homme”, cette sorte d’amour lui est arrivé, sans que personne ne puisse dire pourquoi. En guise d’épitaphe, Adam écrit sur sa tombe, que “Partout où Eve était, c’était l’Eden” .

Aux portes de l’enfer

Il y a chez Lacan différentes théories sur l’amour articulé au désir et à la jouissance, qui aboutissent aux différentes conceptions sur la sexualité féminine.

Le premier abord de l’amour accentue son versant imaginaire: réversibilité de la libido narcissique que l’objet investi et qui se transforme en libido objectale. Sur la base de cette affirmation freudienne, Lacan construit dans le Séminaire IV, son premier tripode du besoin, demande et amour[2]. Le terme qui est exclu est le désir. Avec la satisfaction du besoin, le don lui-même devient un signe d’amour. Lacan formule que la frustration de jouissance est aussi une frustration d’amour. L’amour est un don; et c’est ce signe d’amour qu’on demande…

Les trois termes se modifient avec l’introduction du désir : besoin, demande et désir[3]. L’axe central qu’occupait l’amour se déplace vers le désir et tout tourne sous l’égide du symbolique. L’amour devient symbolique et se définit alors comme “donner ce que l’on n’a pas”, c’est à dire qu’il reste articulé au phallus et au manque. La demande est surtout demande d’amour.

Jacques-Alain Miller souligne que Lacan s’oriente à cette époque d’un “Il y a du rapport”, tant sur le versant imaginaire que sur le versant symbolique – relation imaginaire propre au stade du miroir, ou relation intersubjective du versant symbolique de l’amour[4]. Le point de rupture sera l’affirmation “Il n’y a pas du rapport sexuel”.

Or, bien que le besoin amène à demander quelque chose à quelqu’un -à celui qu’on suppose qu’il l’a-, dans l’amour, on demande “quelqu’un” -c’est une demande d’être-. La demande d’amour vise l’être de l’Autre. Dans la mesure où l’amour, c’est donner ce que on n’a pas, la demande d’amour est une demande de castration. Miller le dit de la façon suivante : “Je t’aime pour quelque chose qui est en toi et qui te manque”. De cette façon, le “divin détail” est le signe de la castration de l’Autre[5], et non pas une simple réversibilité narcissique qu’exprime “Je t’aime pour me voir comme je m’aime”.

Le ressort de l’amour, dans cette perspective, c’est donner ce que on n’a pas: c’est le rapport entre l’amant “qui n’a pas” et ne sait pas ce qui lui manque, et l’aimé “qui l’a”, mais ne sait pas ce qu’il a. Entre les deux termes il y a une béance, un discord. Il suffit d’aimer pour se trouver pris dans cette béance, affirme Lacan dans son étude sur Le Banquet de Platon.

L’amour est une signification que la métaphore de l’amour produit : la fonction de l’amant se substitue à celle de l’aimé[6], comme c’est le cas d’Achille et Patrocle. Le choix d’Achille de suivre Patrocle dans la mort, est considéré par les dieux comme la manifestation du miracle de l’amour. “Le choix de la Moire, du destin, a la même valeur que la substitution d’un être par un autre être”[7]. Nous rencontrons ainsi à l’intérieur de l’enveloppe phallique, l’amour lié à l’être. Alceste incarne l’amour parce qu’elle prend la place d’Admete quand Thanatos vient le chercher, introduisant l’espace de l’entre-deux-morts. La métaphore de l’amour est le fruit de cette substitution.

L’instantanéité de l’amour est décrit par Lacan avec un mythe qu’il invente, une main se tend et une autre la prend. Mais il ne s’agit pas d’une symétrie : “…en tant que la main se tend, c’est vers un objet. La main qui apparaît de l’autre coté, c’est le miracle”[8]. Il ne s’agit alors plus seulement du don d’amour mais du désir d’un objet.

Lacan dit : “Le sujet avec lequel, entre tous, nous avons le lien de l’amour est aussi l’objet de notre désir”[9]. Nous aimons l’objet du désir. Et il ajoute : “Si cet objet vous passionne, c’est parce que là dedans, caché en lui, il y a l’objet du désir, l’agalma“[10].

L’amour est présenté ensuite comme la médiation entre la jouissance et le désir dans le Séminaire X : “Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir”[11], signale Lacan avec son aphorisme. À l’aube de la théorisation de Lacan sur l’antinomie entre la jouissance autoérotique et le désir qui est en rapport avec l’Autre, l’amour fonctionne comme médiateur parce qu’il rend l’objet de la jouissance agalmatique. Il crée le voile nécessaire pour que la jouissance se présente comme le désir.

Mais Lacan ajoute qu’il ne faut pas oublier que la passion de Dante le laisse aux portes de l’enfer[12].

Le tentation du désir

Quand Paris doit choisir entre les trois déesses, celle de la beauté, son choix se porte sur Aphrodite parce qu’elle lui promet l’amour de la femme la plus belle. Les semblants avec lesquels se construit la mascarade féminine et le rêve d’être la plus belle ont un lien particulier avec l’amour.

Pour les femmes en position féminine l’amour et le désir convergent sur le même objet. De même que pour les hommes, rien n’empêche qu’amour et désir puissent se séparer, à ceci près qu’il ne s’agit pas seulement de la question d’aimer, mais par dessus tout, la question est de savoir par qui elles se font aimer, c’est ce qui donne aux femmes ce style d’amour érotomaniaque.

Lacan note que la femme attend d’être aimée et désirée pour ce qu’elle n’est pas. Elle ne l’a pas, ne l’est pas, le phallus, donc elle essaye de le paraître et d’obtenir ainsi le phallus par le biais de la métaphore de l’amour. La liberté qu’elle a par rapport aux semblants lui permet diverses mascarades pour obtenir l’amour convoité, et devenir ainsi unique pour un homme, qu’il soit l’incube idéal, le père mort ou l’amant châtré à qui elle adresse sa demande d’amour[13].

Le voile montre et cache. Sur le voile se projette et s’imagine l’absence, c’est ainsi qu’il devient l’idole qui fixe la condition du choix d’objet masculin. A travers le voile, incarnant la mascarade, les femmes construisent un paraître et, en même temps, se dérobent tout en montrant une vérité de structure: pas-toute face au partenaire.

En se faisant désirer, la femme se situe en tant qu’objet et elle reçoit le phallus par le biais de l’amour. De cette façon, elle obtient le phallus qui lui manque en satisfaisant son désir de phallus.

Mais tout n’est pas phallus pour les femmes et il existe une jouissance sous les voiles et les mascarades qu’elles offrent comme leurre du désir, qui excède le chiffrage phallique. C’est ainsi que le signifiant se dérobe et n’arrive pas à habiller complètement le corps d’une femme, et il fuit comme dans le tonneau des Danaïdes.

Lacan reprend le mythe de la création d’Eve dans le Séminaire X et raconte comment la femme nait d’une des côtes d’Adam. “On lui a retiré cette côte, on ne sait pas laquelle, et d’ailleurs, il ne lui manque aucune. Mais il est clair que dans le mythe de la côte, il s’agit justement de cet objet perdu. La femme, pour l’homme, est un objet fait avec ça”[14]. Le traitement phallique de la femme se déplace ainsi à l’examen de sa position d’objet pour l’autre. En prenant la femme en tant qu’objet de son désir, l’homme reste lié à la pulsion, et il fait de l’Autre un objet a. Ce qui révèle une vérité de structure: l’objet a est la véritable nature du partenaire.

Dans ce séminaire, Lacan commence à développer son propos sur la jouissance féminine. Il pose que les femmes sont supérieures dans le domaine de la jouissance parce que leur lien au nœud du désir est plus souple que du côté masculin. Le rapport entre la négativisation du phallus et le complexe de castration est nécessaire chez l’homme mais il ne l’est pas pour les femmes. Elles gardent un rapport plus étroit avec le désir de l’Autre, en même temps que leur rapport à la jouissance ne tombe pas nécessairement sous la coupe phallique.

En contrepartie, la demande d’être le phallus de l’Autre rend les femmes plus dépendantes des signes d’amour du partenaire. Pourquoi Eve offre-t-elle la pomme à Adam? “Elle se tente en tentant l’Autre… C’est le désir de l’Autre qui l’intéresse”[15]. Ceci produit l’ouverture vers l’Autre de l’amour. Bien qu’elles soient plus indépendantes des exigences pulsionnelles car leur jouissance n’est pas localisée, la demande d’amour, en même temps, devient plus pressante. La présence de l’Autre reste très intriquée, c’est pourquoi la demande d’amour est demande de présence: elle obtient sa satisfaction des signes d’amour qu’elle espère recevoir à travers des paroles. L’amour passe par les paroles, pas seulement par la demande. C’est pourquoi les femmes attendent avec inquiétude une parole d’amour et que le silence de l’homme peut être éprouvé comme un manque d’amour. La perte d’amour, et surtout de la parole d’amour, prend la forme d’une castration. Ainsi, l’amour et la jouissance chez les femmes, deviennent indissociables, nous dit Jacques-Alain Miller[16].

Pourquoi l’amour fait-il souffrir?

Pourquoi les femmes souffrent-elles de l’amour ? Le concept de “masochisme féminin” posé par Freud dans “Le problème économique du masochisme” (1924)[17], a trouvé une large répercussion dans le milieu psychanalytique post-freudien et a déclenché de vives polémiques appelées par Lacan la “querelle du phallus”[18]. Pour Freud, ce masochisme désigne une situation caractéristique de la féminité : être châtré, être possédé sexuellement ou accoucher. Lacan refuse cette perspective et affirme qu’il s’agit d’un fantasme masculin qui, de façon étonnante, fut développé par les femmes analystes du cercle freudien.

Pour Hélène Deutsch, la féminité est une mélange de passivité, de narcissisme et de masochisme[19] (19). Elle part de la souffrance -dont elle avait fait l’expérience dans ses rapports avec le dirigeant socialiste Lieberman- qui devient le paradigme de l’être féminin. Le masochisme est, de son point de vue, la forme d’amour la plus puissante et elle arrive même à parler d’une “sujétion érotique masochiste”. Néanmoins, cette porte-parole du masochisme n’a rien de masochiste elle-même, ce qui ne l’empêche pas de construire un universel féminin.

Karen Horney, à l’opposé de Hélène Deutsch, critique cette conception conçue exclusivement d’après la différence sexuelle anatomique, en notant que Deutsch laisse de côté les facteurs culturels qui feraient qu’une femme puisse accepter quelques mauvais traitements [20].

Le masochisme comme nature véritable de la femme ou comme pur effet culturel ne concerne pas la question de la perversion masochiste. Hélène Deutsch s’égare en mêlant les ravages de l’amour et les péripéties du rapport du corps de la femme avec le masochisme; Karen Horney oublie que le fait culturel n’explique pas la position du sujet face à la jouissance.

Annie Reich examine des cases de soumissions extrêmes de femmes qui ont les caractéristiques suivantes: mauvais traitements et dévalorisation, soumission “masochiste” et passivité, mais surtout elle s’interroge sur l’extase que ces femmes éprouvent pendant le rapport sexuel[21]. Susan accompagne pendant des années un homme avec qui elle n’a que rarement une vie sexuelle; mais elle le suit partout, quitte sa carrière, sa famille et ses amies et, malgré sa déception dans la vie quotidienne, elle éprouve un sentiment de fusion complète dans le rapport sexuel qui la rend heureuse. Mary était mariée avec un homme narcissique qui lui était infidèle. Elle était soumise à cet homme qui l’a maltraitée et l’insultait en la laissant dans une solitude complète, pour avoir la joie d’avoir un rapport sexuel avec lui. L’union mystique évoquée dans ces cas et l’extase éprouvée, amène Annie Reich à parler d’une soumission masochiste qui produit une satisfaction. La surestimation de ces hommes va dans le même sens que la théorisation d’Hans Sachs à propos du surmoi postiche chez certaines femmes qui les rendent particulièrement dépendantes de leur partenaire[22]. Chez Annie Reich, l’accent est mis sur la jouissance sexuelle; chez Hans Sachs, ce qui est mis en avant, c’est la place de l’Idéal.

Éric Laurent, en examinant le masochisme féminin, montre que la quête de certaines femmes pour incarner le manque du partenaire pour se faire aimer, versant érotomane de l’amour, peut les amener au “potlatch amoureux” : le sujet se perd sur les chemins de « donner ce qu’elle n’a pas », tout en exaltant sa position d’amante dans l’espoir de susciter chez le partenaire une réaction similaire et recevoir ainsi un signe d’amour[23]. Elle cherche devenir tout pour un homme, sans tenir compte de l’indignité de l’homme en question, en dehors de la mesure phallique, et en franchisant ainsi une zone qui la conduit au-delà du principe de plaisir. Laurent opère ensuite un déplacement du concept de masochisme à celui de privation : se fabriquer un être à partir de la soustraction de l’avoir.

Lacan, dans le Séminaire XVII parle de la “jouissance de la privation” pour le sujet en position féminine. Mais ensuite, il préfère utiliser le terme “ravage” à la place du masochisme pour parler de l’effet que peut avoir un homme sur une femme. “Être unique pour un homme”, dit Éric Laurent, peut aussi prendre la modalité d’être « la seule qui l’accompagne, qui le comprend », mais reste une demande d’amour[24].

Le masochisme féminin n’est pas biologique, constitutionnel ou culturel. Le poser comme un fantasme masculin permet de saisir la position particulière où restent quelques femmes qui consentent au fantasme d’un homme et dédient leur avoir en un « se faire aimer ». Le masochisme peut être pris comme féminin dans la mesure où il casse la mesure phallique. Il ne s’agit pas d’une perversion mais d’un rapport particulier avec la jouissance, en dehors du phallus. S’ouvrent ainsi des voies où se mêlent l’amour et la jouissance dans la sexualité féminine[25].

Jouissance de l’amour

Le parcours de Lacan autour de la jouissance et de l’amour dans son dernier enseignement ouvre des nouvelles perspectives. A partir du Séminaire XX la jouissance reste antinomique avec l’Autre : on jouit du corps, l’Autre c’est un problème[26]. Lacan indique que le véritable partenaire du sujet, c’est l’objet a. Derrière l’Autre se trouve l’objet a. Au niveau de l’autoérotisme de la pulsion, il n’y a pas d’Autre. Comment alors, à partir de la jouissance autiste, se mettre en rapport avec le partenaire ? En jouissant, hommes et femmes restent seuls. Seul l’amour restitue le lien avec l’Autre. Ainsi une fonction inédite de l’amour se réalise, dit, Miller, dans la mesure où cela permet d’établir une connexion avec l’Autre : l’amour est posé au niveau du réel de la pulsion[27].

Quel rapport garde alors la demande d’amour avec la jouissance féminine supplémentaire ? Pour les femmes, la demande d’amour est adressée avant tout au père, mais, en tant qu’elle est liée à la jouissance, son automatisme et son insistance font qu’elle se désintéresse de la réponse de l’Autre. Ce qui explique les errements de la vie amoureuse féminine car aucune réponse ne vient répondre à la demande. La jouissance ici en jeu concerne le fonctionnement automatique de la demande d’amour et comment à travers elle, cette demande reste submergée par une jouissance sans limite.

Chez l’hystérique, la demande fait exister le père à qui s’adresse son amour, tout en voilant ainsi le manque dans l’Autre, qui reste en relation à l’avoir. Par contre, souligne Miller, la position féminine implique l’articulation d’une jouissance au-delà de l’avoir. Dans la mesure où l’amour reste noué à la jouissance, le sujet, par le biais de la demande d’amour, jouit. Lacan souligne dans le Séminaire XXIII qu’une femme peut être un symptôme pour un homme, mais pour une femme, un homme peut être quelque chose de pire, une affliction pire qu’un sinthome, un ravage même[28]. Quand la demande d’amour adressée à l’Autre surpasse la limite phallique, elle se retourne comme un excès. « Le ravage, dit Miller, c’est l’autre face de l’amour »: annulation de l’avoir articulé à l’infini[29].

Éric Laurent indique dans L’envers de la biopolitique[30] que dans la mesure où la femme incarne la valeur phallique, la valeur de jouissance pour un autre corps, celui d’un homme, elle devient symptôme à déchiffrer, et elle devient partenaire-symptôme.

Quant au rapport entre l’amour et la jouissance, Miller apporte deux ponctuations fondamentales. La première, en 1996, dans Le partenaire symptôme, il signale que Lacan s’est intéressé dans le Séminaire XX à la sexualité féminine dans la mesure où elle fonctionne comme une exception face à la jouissance autiste parce qu’elle permet d’établir une ouverture à l’Autre. Le jouissance est relative au S(A) barré[31]: ce n’est pas une jouissance relative au corps mais relative au non rapport sexuel. C’est l’exception d’une jouissance mêlée avec l’amour, mixte d’amour et de jouissance qui opère dans la sexualité féminine.

La deuxième ponctuation est dans l’Un tout seul en 2011 : Miller fait un pas en plus dans son examen du dernier enseignement de Lacan, et il signale que Lacan a d’abord fait une distinction entre la jouissance féminine et la jouissance masculine, mais qu’ensuite il généralise la jouissance féminine jusqu’à la transformer en régime de la “jouissance comme telle”, qui n’est pas œdipienne et n’efface pas pour autant la distinction entre les deux jouissances[32].

Si aimer implique le choix d’un autre corps, à partir de la perspective du sinthome, dit Miller, c’est une façon de donner sens à la jouissance.

L’amour est l’illusion de faire Un de Deux, il crée l’Un imaginaire qui donne accès à l’être. “L’amour vise l’être”, dit Lacan dans le Séminaire XX [33]. La demande d’amour vise l’être de l’Autre, sa présentification essentielle et devient une suppléance à l’absence de rapport sexuel.

L’amour se supporte du rapport “entre deux savoirs inconscients”. “L’être est affecté en tant que sujet du savoir inconscient”, souligne Lacan[34]. On aime le savoir inconscient de l’autre exprimé à travers des signes qui montrent comment s’est inscrit l’événement de corps chez le partenaire et comment il est affecté par ce savoir. Il se produit ainsi une rencontre contingente avec les traces de l’exil du rapport sexuel. L’affect qui surgit dans cette béance donne l’illusion que le rapport sexuel cesse de ne pas s’écrire. Avec ce déplacement, la rencontre contingente s’exprime comme nécessaire: courage face au destin fatal, dit Lacan, mais c’est aussi le drame de l’amour.

Aimer n’est pas synonyme de demander à être aimée, et moins encore, de souffrir par amour. L’analyse soustrait les femmes de la demande insistante d’amour qui ne peut qu’angoisser le partenaire. La métamorphose se produit quand il ne s’agit plus du manque d’amour, de l’amour qui manque, ou de l’excès propre à la jouissance de la demande d’amour et de la recherche affolante d’un signe d’amour. La jouissance de l’amour ne disparait pas, mais face au manque ou à l’excès, émerge ce qui est possible, la rencontre contingente avec celui qui peut l’extraire de la solitude de sa jouissance, localise sa jouissance extatique, la circonscrit, touche son être à travers l’amour, et en contrepoint du proverbe du Talmud, alors peut être qu’il réussira à se loger près de son cœur.

NOTAS

  1. Ce texte reprend la conférence “The love miracle and his jouissance” présenté à la New York University en juillet 2014, aux U.S.A., et publié en Lacanian Compass volume 3, issue 12, december 2017, et de la conférence “Pourquoi souffre-t-on de l’amour?” donnée au 43 Rencontre du Pont Freudien, Montréal, Canada, en octobre 2017. Nous remercions Guilaine Panetta pour sa révision du texte en français.
  2. Lacan, J., Le séminaire, livre IV, Les relations d’objet. Paris: Seuil, chap. 11
  3. Lacan, J., “La signification du phallus” (1958), Ecrits. Paris: Seuil, pp. 690-691.
  4. Miller, J.-A., La fuite du sens, inédit, cours du 7 février 1996.
  5. Miller, J.-A., Les divins détails, inédit, cours du 10 du mai 1989.
  6. Lacan, J., Le séminaire, livre VIII, Le transfert. Paris: Seuil, p. 67.
  7. Idem, p. 62.
  8. Idem, p. 68.
  9. Idem, p. 175.
  10. Idem, p. 176.
  11. Lacan, J., Le séminaire, livre X, L’angoisse. Paris: Seuil, p. 210.
  12. Lacan indique dans le Séminaire VIII : “Ce terme de l’éternel amour est mis par Dante expressément aux portes de l’Enfer”, op. cit., p. 195.
  13. Lacan, J., “Propos directifs pour un Congres sur la sexualité féminine” (1960), Ecritsop. cit., p. 733.
  14. Lacan, J. Le séminaire, livre X, L’angoisse, op. cit., p. 221.
  15. Idem.
  16. Miller, J.-A., Le partenaire symptôme, inédit, cours du 14 janvier 1998.
  17. Freud, S., “Le problème économique du masochisme” (1924), Névrose, Psychose et perversion. Paris: PUF.
  18. Lacan, J., “La signification du phallus” (1958), op. cit., p. 694.
  19. Deutsch, H., Psychologie des femmes (1944-45). Paris: PUF, 1997 ; et Autobiographie. Paris: Mercure de France, 1986.
  20. Horney, K., La Psychologie de la femme. Paris: Petite bibliotheque Payot.
  21. Reich, A., “A Contribution to the Psychoanalysis of Extreme Submissiveness in Women”, Psychoanalytic Quarterly IX (1940).
  22. Sachs, H., “One of the Motive Factors in the Formation of the Superego in Women”, International Journal of Psychoanalysis 10 (1929), cité par Lacan dans le Séminaire 4, op. cit., p. 205.
  23. Laurent, É., Posiciones femeninas del ser. Buenos Aires: Tres Haches, cap. 4, cours du 9 février 1993 au Séminaire de la Section Clinique de Paris.
  24. Laurent, É., “La clinique des Unes-toutes-seules”, Mental 31 (2014), pp. 21-26.
  25. Tendlarz, S., Las mujeres y sus goces (Les femmes et leurs jouissances). Buenos Aires: Colección Diva, cap. 3 et 4.
  26. Lacan, J., Le séminaire, livre XX, Encore. Paris: Seuil, chap. 1.
  27. Miller, J.-A., Le partenaire symptôme, cours inédit, cours du 14 janvier 1998.
  28. Lacan, J., Le séminaire, livre XXIII, Le sinthome. Paris: Seuil, p. 101.
  29. Miller, J.-A., La fuite du sens, cours inédit, cours du 27 février 1996.
  30. Laurent, É., L’envers de la biopolitiqueUne écriture pour la jouissance. Paris: Navarin, 2016, cap. “Ce qui fait symptôme pour un corps”.
  31. Miller, J.-A., La fuite du sens, inédit, cours du 27 février 1996.
  32. Miller, J.-A., L’Un tout seul (2010-2011), inédit.
  33. Lacan, J., Le séminaire, livre XX, Encore. Seuil, p. 40.
  34. Idem, p. 131.