Avoir trois parents, c’est légal

Crónicas Porteñas de Silvia Tendlarz

Un fait sans précédent s’est produit le 23 avril 2015 en Argentine : l’état civil de la province de La Plata, Buenos Aires, a autorisé une « triple filiation », en l’occurrence celle de deux mères et d’un père. Valeria et Susana se sont mariées en 2012, selon la loi du « mariage égalitaire » en vigueur en Argentine ; Hernán était un ami du couple. Antonio, maintenant âgé d’un an, est né par procréation assistée, pratiquée par l’une des deux femmes qui est médecin.

Actuellement en grande expansion, la coparentalité – définie comme un accord pour avoir un enfant en commun entre personnes, homosexuelles ou hétérosexuelles, ne formant pas couple – implique l’inscription légale de deux personnes comme parents d’un enfant. La configuration de liens parentaux multiples existe depuis longtemps dans les cas de recours à un donneur. La nouveauté, c’est l’inscription légale reconnaissant ce type de famille élargie à trois parents.

Dans la législation argentine, on ne peut avoir plus de deux liens de filiation, quelle que soit la nature de celle-ci : une mère et un père, mariés ou pas, deux mères ou deux pères si elles/ils sont uni(e)s par le mariage. Par mariage, un homme ou une femme peuvent devenir parent légal en tant que conjoint – qu’ils soient homosexuels ou non.

Si la mère est celle qui en passe par l’accouchement, le père – qui peut être uni par une alliance amoureuse ou légale avec la mère, ou ne l’être pas – le devient soit par une reconnaissance de paternité, soit par une analyse d’ADN requise par la justice. Dans ce dernier cas, le critère biologique ou génétique de la filiation prévaut légalement sur le lien du couple.

Avant le « mariage égalitaire », les couples homosexuels pouvaient contracter une union civile en déclarant leur relation de couple à l’état civil, ce qui leur octroyait une série de droits et d’obligations, mais ne leur offrait aucune possibilité de coparentalité. Le mariage entre personnes de même sexe a évidemment modifié cet état de fait, mais maintenait le nombre de parents à deux. Comment cette coparentalité a-t-elle pu alors se réaliser à trois ?

Les législations internationales imposent en général l’anonymat dans le cadre de la donation de gamètes ; le donneur de sperme signe une renonciation au droit de reconnaissance de sa filiation avec un enfant conçu par procréation assistée.

Dans le cas ici évoqué, Hernán a accepté d’être le donneur sans pour autant renoncer à son droit de devenir père, puisqu’il voulait l’être et souhaitait participer à l’éducation de l’enfant, les deux mères étant d’accord. Ainsi se trouvent réunies deux conditions légales rendant possible la triple filiation. Premièrement, les deux femmes sont mariées, l’une est mère car elle a accouché, l’autre l’est aussi en tant que conjointe. Deuxièmement, l’homme dont le sperme a permis la conception de l’enfant n’ayant pas signé de renoncement à la reconnaissance de paternité, contrairement à ce qui est habituellement établi par les établissements pratiquant la donation de sperme, est donc père par filiation biologique.

Les autorités provinciales ont édicté une résolution spéciale pour inscrire l’enfant sous trois noms, ceci malgré l’absence d’antécédents légaux. Elles se sont appuyées sur le fait que la « réalité familiale » mérite la protection, la tutelle et l’abri de l’État. Le père, au même titre que les deux mères, aura des droits et des devoirs relatifs aux soins et à l’entretien, à l’héritage, aux voyages à l’extérieur et autres questions.

Quoiqu’il en soit, comme cette résolution est en contradiction avec la législation argentine de la double filiation, il reste à en observer les répercussions sur les divers aspects légaux concernant la paternité, et jusqu’où celles-ci pourront influer sur de nouvelles demandes juridiques ou administratives de cet ordre.

« Nous configurons un nouveau modèle de famille », a affirmé l’une des deux femmes. Ce type de famille reconnue légalement a un antécédent. En février 2014, au Canada, deux mères et un père ont été reconnus parents sans qu’un recours à un jugement n’ait été nécessaire. Le père a obtenu un régime de visites et le droit de participer aux décisions concernant l’enfant, mais sans que les mêmes droits et devoirs que les mères ne lui soient signifiés.

L’extrait de naissance d’Antonio va certainement constituer un antécédent légal pour les nouvelles familles du XXIe siècle, basé sur ce qu’on appelle la « volonté de procréation » du couple et du donneur. Le lien amoureux des deux femmes et le désir d’enfant de ces trois sujets a été pris en compte dans la reconnaissance d’une famille, c’est-à-dire que l’alliance et le lignage interviennent sous une forme jusqu’à présent inédite. Il est ainsi mis en évidence, comme l’affirme Éric Laurent, que c’est l’enfant qui distribue dans notre monde contemporain les places de mère et de père et qu’il est, sans nul doute, le centre de ces nouvelles configurations familiales [1].

Traduit de l’espagnol par Anne Goalabré
* Publié en Lacan Quotidien N°508

NOTAS

  1. Cf. Laurent É., « L’enfant à l’envers des familles », La Cause freudienne, n° 65, Navarin, 2007, p. 49.